Et puis vint l'électricité... Il y a de cela un peu plus de cent ans, la plupart des villages de l'Entre-Sambre-et-Meuse étaient toujours des enclaves isolées où les progrès induits par la Révolution industrielle passaient leur chemin. On y vivait en un temps cyclique, rythmé par les saisons. Les communications avec les villes étaient seulement occasionnelles, quant au gaz et à l'électricité, n'en parlons même pas... Plusieurs de ces villages avaient malgré tout connu un développement économique lié tout d'abord à l'implantation d'une première forme de sidérurgie primitive et à l'extraction et la transformation de la pierre. Tel était le cas de Gougnies, ce petit village situé à la limite des provinces de Hainaut et de Namur. Certes, plusieurs ateliers y étaient implantés, certes, le train s'y arrêtait depuis quelques années, mais il n'y avait toujours pas l'électricité... Albert Pirmez, un petit industriel du coin, qui possédait les Ateliers de Marmor, une petite usine de découpe et de façonnage de marbre décida de produire de l'électricité par ses propres moyens. En 1909, il installa une petite centrale hydroélectrique dans une ancienne forge à marteau (un "maka" en Wallon...) établie le long de la Biesme dans les bois entre Gougnies et Sart-Eustache. Cette petite unité fut surnommée "La Turbine" par les habitants des villages avoisinants. Animé sans doute d'une intention mêlée de bienveillance et de paternalisme, Albert Pirmez finança dans la foulée l'installation de l'éclairage à Gougnies. De nombreux habitants purent ainsi bénéficier de cette commodité jusque là inconnue. La Turbine fonctionna plusieurs dizaines d'années avant d'être désaffectée. En 1985, Didier Muyle, un ingénieur spécialisé dans l'hydro-électricité décida de remettre en service cette installation. Un litige opposant les promoteurs de cette réalisation et le propriétaire des lieux fit que l'usine cessa toute activité au début des années 1990. Cela faisait bien longtemps que je connaissais cette cheminée émergeant de la cime des arbres, quelque part dans les bois entre Gougnies et Sart-Eustache. Elle m'intrigait, mais je n'imaginais pas trouver dans ce lieu quelque chose d'intéressant. Une vieille cheminée et trois tas de briques me disais-je... J'avais tort. Un ami me proposa de nous y rendre, parce que paraît-il il existait là les restes d'une petite centrale électrique. Ce que nous fîmes par une belle soirée d'été. La Turbine, nichée dans un cadre bucolique et dans un sous-bois qui lui tient lieu d'écrin, est bel et bien un endroit intéressant, même si les années d'abandon et l'usure du temps ont considérablement ruiné l'édifice. Les hautes frondaisons rendent l'ensemble discret, pratiquement invisible des chemins environnants. La présence d'une cheminée laisse prévoir que des fours ou des chaudières ont pu être implantés. C'est précisément le cas. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir les restes d'une machine à vapeur avec sa chaudière. Certes, le volant et une partie de l'embiellage ont été démontés, mais une bonne partie de ces éléments se trouvent disséminés dans la végétation environnante, tel le régulateur complet que nous avons exhumé des fourrés. A quoi devait bien servir cette machine à vapeur ? Sans doute à entraîner la forge à marteau ou quelques machines outils. Dans une des salles de cette petite usine se trouvent toujours deux turbines, installées en 1909 pour la production d'électricité. Les alternateurs, que ces turbines entraînaient, et qui sont beaucoup plus récents, ont été enlevés voici peu. Dans les environs, doivent se trouver une retenue d'eau et une conduite aérienne qui amenait l'eau à ces turbines. La présence apparente d'une habitation non loin de là nous laisse à penser que nous nous trouvons dans une propriété privée. Nous renonçons donc à explorer les environs pour ne pas être repérés... Après deux heures, nous laissons ces vestiges retourner à leur sérénité et nous quittons les lieux avec la sensation d'une belle petite découverte.
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