Pourquoi ?

A l’origine...
Mon attrait pour l’exploration de lieux abandonnés remonte, comme pour beaucoup d’autres, à mon enfance. La première partie celle-ci s’est passée dans les années 1960 au quartier de la Planche, chaussée de Bruxelles à Dampremy, aux confins de Charleroi. Cette commune qui accueillait de nombreuses industries n’était certainement pas le plus beau coin de Belgique. Mais ce décor concourrait à renforcer l’appellation “Pays-Noir” que l’on avait donnée à la région de Charleroi. Presque toutes les communes formaient d’ailleurs une “ceinture noire” autour de la métropole. C’est là que s’étaient implantés les charbonnages, la sidérurgie, les verreries et une multitude d’ateliers en tous genres.

Ce furent les jeux dans les charbonnages désaffectés qui furent vraiment mes premiers pas dans l’exploration des lieux abandonnés. Ces ruines étaient nombreuses, de véritables cités interdites mais mal gardées, autant de sanctuaires de l’ère industrielle qui commençait à toucher à sa fin. Quelques puits étaient encore en activité, tel ce numéro 1 qui se situait derrière mon école à Charleroi-Nord. Mais la majorité des autres avaient déjà cessé leurs activités. Lorsque l’on pénétrait dans un de ces lieux désertés, on était souvent parcouru par un frisson ou hanté par une peur excitante. Qu’allait-on y trouver ? Quelles bonnes ou mauvaises rencontres allait-on y faire ? Aujourd’hui, je l’avoue, j’éprouve encore les mêmes sensations en allant faire des photos dans les usines ou les charbonnages abandonnés. J’y redécouvre les mêmes luminosités mystérieuses, les mêmes atmosphères pesantes et les mêmes odeurs de vieilles huiles ! Comme avant, je n’y rencontre que peu de monde, à part un ou deux ferrailleurs crasseux qui sont aussi surpris que moi…

Dans cette enfance lointaine, j’ai dû passer des heures à explorer, à découvrir ces innombrables bâtiments, à parcourir ces dédales de couloirs, de recoins sombres, à pénétrer à pas feutrés dans des pièces jonchées de “brols” et de papiers. Le plus souvent, j’y allais avec des copains, cela me donnait plus de courage, même si j’avais moins le temps d’observer et de m’imprégner de l’ambiance des lieux. Souvent, rien ou presque n’était démoli. Tel ce charbonnage du Sacré-Français, au confins de Dampremy, Lodelinsart et Jumet : tombant en ruine, mais vierge de toute démolition. La récupération des métaux n’intéressait pas encore les sociétés charbonnières, puisqu’elles n’étaient pas encore en liquidation… Elles laissaient leurs ruines au quatre coins du Pays-Noir en attendant sans doute le jour propice à la vente de leurs restes. Tout cela était une aubaine pour les gamins de la région, qui trouvaient là des terrains d’aventures, dangereux mais fascinants. Ce puits du sacré-Français fut sans doute une de mes premières cités interdites. Pour y pénétrer, on escaladait l’énorme terril qui jouxtait le site. On dévalait ensuite l’autre côté dans une espèce de chute contrôlée et on atterrissait dans les ronces qui poussaient au pied de la pente. Restait alors à oser violer le site désolé du charbonnage. Les puits n’avaient pas été obturés : la société du Mambourg exploitait encore le Saint-Théodore à Marchienne-Docherie et le n°1 à Charleroi-Nord. Le Sacré-Français devait encore servir au pompage des eaux ou à l’aérage. On se doute bien du danger qu’il y avait de se trouver là : des puits profonds de 945 mètres et certaines machines encore alimentées en électricité. Les deux puits n’étaient barrés que par des grilles dérisoires et on y sentait un souffle humide venu des profondeurs de la terre. Lorsqu’on y jetait une brique ou un caillou, on n’entendait même pas le bruit de leur chute. Jamais nous ne rencontrâmes de garde…

A cette époque, il n’y avait pas que les charbonnages ou les usines que l’on abandonnait. Je me souviens de ces dizaines de maisons ouvrières délaissées par leurs habitants, sans doute parce qu’elles avaient subi les dégâts miniers ou qu’elles étaient devenues insalubres. C’était aussi l’époque de la construction de l’autoroute et des expropriations massives qui en découlaient. Toutes ces maisons vides - parfois des quartiers entiers - sont devenues pour nous tous autant de lieux à explorer.

Parfois je passais en voiture ou en tram du côté de Marchienne par la route de Mons. On pénétrait au cœur même de la sidérurgie de l’Ouest. Coincées entre le canal de Charleroi à Bruxelles et la Sambre, les usines de la Providence et de Thy-Marcinelle étendaient leur fouillis inextricable de haut-fourneaux, de halls de laminoirs, de cheminées, de conduites aériennes, de charpentes, de bennes téléphériques, le tout dominé par des fumées rousses, noires ou blanches. Parfois des flammes émergeaient du décor, dont l’odeur de charbon brûlé et de gaz prenait à la gorge. On se doutait que le cœur du Pays-Noir battait là, mais surtout, on se sentait petit et intrus dans un tel paysage quasi-inhumain… Très vite, j’ai trouvé que cet endroit avait quelque chose de graphique et de paradoxalement beau, même si la plupart des gens le trouvait absolument laid. Il s’agissait peut-être à l’époque d’une conception insolite et décalée, mais je ne me suis aperçu par la suite que la «laideur» de la sidérurgie en avait impressionné d’autres que moi, à toutes époques confondues : il suffit de prendre pour exemple les peintures de Paulus ou les photographies de Chavepeyr. Aujourd’hui, d’autres artistes se sont laissés impressionnés et imprégnés par ce genre de décors industriels que l’on retrouve même dans les bandes dessinées !

Par la suite est né en moi un attrait certain pour l’archéologie industrielle et j’ai très vite eu la conscience claire que tous ces lieux de labeur faisaient partie de notre histoire et que leur éradication signifiait l’effacement d’un pan de celle-ci. Je me suis donc mis à photographier les charbonnages et la sidérurgie dans le but de contribuer à la conservation de ce patrimoine, si pas matériellement, tout au moins iconographiquement. Dans un premier temps, mes photos se voulaient strictement descriptives, mais ma démarche a évolué par la suite, je crois, vers une représentation plus artistique. J’ai réellement commencé la photo voici trente ans, pas de manière constante, mais au gré des mes humeurs et de mes priorités du moment. N’étant pas de nature très ordonné, j’ai égaré beaucoup de documents au hasard de déménagements successifs. J’ai également manqué de précaution lors du stockage de mes négatifs. Aujourd’hui, je me retrouve à mon grand dam avec un matériau détérioré, tout du moins tout ce qui date de mon époque «argentique»... Ajoutons à cela que je ne me suis pas dépêché de photographier certains sites menacés de disparition. Il faut dire qu’ils faisaient partie de l’environnement depuis des décennies, qu’ils me paraissaient immuables, et qu’ils seraient là encore pour un bon bout de temps. Fausse et fâcheuse impression car lorsque je me suis décidé à les photographier il était souvent trop tard.

Après la disparition des sites miniers au début des années 1990, j'ai pratiquement arrêté de photographier des sites industriels. C'est la découverte du site internet Abandoned Places en 2002 qui a relancé mon intérêt. Depuis lors, je n'ai plus cessé de faire de la photo !

D’une ère à une autre et le pourquoi du nom de mon site
J’ai vécu la fin de l’ère industrielle, une ère faite au départ d’injustice flagrante, mais que le mouvement social, en faisant pression sur un capitalisme par ailleurs en quête de légitimation, a rendu supportable. S’en est suivie une synthèse entre progrès scientifique, économique et social. Une prospérité plus ou moins partagée entre les différentes classes sociales. Enfant, j’ai, comme tant d’autres, issus des régions industrielles, ressenti les effets concrets de cette conjonction de progrès : un bien être matériel et une confiance certaine en un avenir que l’on croyait favorable. Lorsqu’en 1973-74 survint la crise liée au premier choc pétrolier, j’eu vraiment l’impression qu’une césure s’était faite et que cette époque couronnée de progrès discontinu était définitivement révolue. Ce qu’une main avait donné était repris impitoyablement par l’autre... On entrait de plain pied dans une ère d’incertitude et d’instabilité.

J’avoue avoir été marqué par cette évolution, même si j’ai très bien mené ma barque depuis ce temps là. Cette nouvelle époque, qui est désormais notre quotidien à été dénommée par de nombreux intellectuels comme étant «postindustrielle». Ce vocable signifie bien à mon sens la différence et la césure nette entre hier et aujourd’hui. Certes comme dans tout passage d’une ère à une autre, il n’y a pas de rupture radicale entre celle d’avant et celle d’après. Se trouve un interface qui assure la transition entre l’avant, le présent et l’après, où toutes traces du passé ne s’effacent pas du jour au lendemain, mais se trouvent en sursis ou sont figées définitivement dans une opération de conservation du patrimoine. C’est précisément cet interface que je pense explorer au travers de la photographie. Les lieux que je visite rendent compte d’une époque révolue. Leurs murs transpirent encore de la présence passée de leurs occupants. Certains de ces lieux sont toujours en activité, mais pour combien de temps ? Quoi qu’il en soit, tous, en activité ou pas auront de communs destins : soit ils seront convertis en patrimoine durable, soit ils disparaîtront à jamais sous la pioche et le chalumeau des démolisseurs... La photographie telle que je la pratique se veut donc être un témoignage de ce qu’étaient certains aspects d’une époque révolue et comment ceux-ci évoluent dans le temps présent ou futur.

J'aurais pu créer ce site depuis plusieurs années, mais le manque de temps et le fait que je redoutais l'épreuve de la mise en page web m'ont fait repousser de mois en mois l'échéance. Enfin, c'est chose faite... Le site ne présente lors de sa première mise en ligne qu'une partie de mes photos. Le reste va suivre et trouver sa place au fur et à mesure parmi les pages. Je vous invite donc à consulter régulièrement les mises à jour pour découvrir les nouvelles photos qui seront mises en ligne.