« on va au bassin »

 
     
 

1971, Je suis « exilé » à Presles, un petit village au delà de Châtelet à une quinzaine de kilomètres de Charleroi. Finis les jeux sur les terrils avec les copains de Dampremy et de Charleroi Nord, fini tout ce décor très dur que beaucoup trouvent moche mais qui incarne si bien le « Pays Noir ». Ici, il n’y a que bois et prairies, la nature est reine. Si tout cela m’émerveille et que je me suis déjà approprié cette nouvelle contrée, au fond de moi, c’est un peu le blues car j’ai l’impression d’avoir été arraché de mes racines. Je suis dans un autre monde  qui malgré tous mes efforts ne m’appartient pas. Les gens du village sont distants et il faudra beaucoup de temps pour être intégré à cet univers si différent. Après plusieurs mois, je me suis refait des copains, mais rien à faire, j’ai toujours en moi la nostalgie de Charleroi et des terrils…

Au mois d’octobre, à l’école communale, l’instituteur nous annonce que désormais, tous les jeudis à quinze heures, on ira à la piscine Solvay à Couillet. On ira au bassin, comme on dit. Couillet, pour moi c’est un peu le retour au pays, le Pays Noir s’entend, celui qui fume et qui trépide… Le trajet en car vers la piscine est l’occasion de recoller à un environnement semblable à celui auquel j’avais dit adieu quelques temps plus tôt : les terrils, la Sambre, les maisons ouvrières, les usines et les trams verts, et puis le téléphérique industriel de Solvay qui promène ses bennes au dessus de la rue de Châtelet. « Que c’est laid », disent les autres qui n’ont pratiquement jamais vu tout cela. Et moi, de leur répondre que non… Au moins ça vit, ça fume et même s’il y a la pollution, au moins il y a du spectacle ! C’est dingue, mais c’est comme ça…

La première chose que je découvre de Couillet en descendant du car est l’usine Hainaut Sambre et ses hauts fourneaux, juste en face du bassin. Un tram vert passe sur la chaussée. Le même que celui que je voyais tous les jours du côté de Charleroi Nord et de Lodelinsart, se frayant un passage dans les rues étroites et sinueuses entre les rangées de façades.

 
     
     
 
Ante mortem, Photos d'une époque révolue...
 
     
 
En guise de préambule, quelques photos du tram 8 à la rue de Châtelet en 1971-72, dans un décor typique du Pays Noir. . Elles sont issues de la collection de Monsieur Luc Meurisse à qui j'adresse un tout grand merci. Nous sommes à la fin de l'ère industrielle, à la veille d'une mutation économique et sociale qui va mettre à mal la région de Charleroi et la faire entrer de force dans l'ère postindustrielle.
 
     
     
   
     
 
Sur la chaussée, en direction de Châtelet, le tram 8 va passer en dessous du téléphérique industriel de Solvay qui relie l'usine de Couillet à la carrière située sur les hauteurs à la limite de Couillet et Loverval. Ce téléphérique était destiné à acheminer la pierre calcaire extraite dans la dite carrière vers les installations de Solvay où elle servait de matière première à la fabrication de la soude.
 
     
     
   
     
 
Une vue prise de l'autre côté de la chaussée avec un tram 8 venant de Châtelet. A l'arrière plan, l'énorme terril du puits n°2 du Boubier qui est toujours là aujourd'hui. A droite, l'autre terril est le crassier à laitier des Usines Métallurgiques de Couillet, devenues par la suite "Hainaut-Sambre". Ce terril sera en partie exploité à la fin des années 1970.
 
     
     
   
     
 
Du haut du pont Solvay, la gare de Couillet Montignies, alors encore en pleine activité et à gauche, l'usine Solvay qui sera la toute première au monde a être construite par cette société devenue par après une importante multinationale. L'usine à Soude sera fermée en 1993. Une activité réduite sera maintenue jusqu'en 1998, date à laquelle ce qui subsiste de l'usine Solvay sera définitivement fermé. Le site a totalement disparu et a laissé la place à un infâme monticule de déchets de construction. Le bâtiment de la gare a également été démoli et aujourd'hui, les trains ne s'arrêtent plus à Couillet Montignies...
 
     
     
   
     
 
Voilà exactement ce que je découvre en descendant du car devant la piscine Solvay un jour d'octobre 1971. Le tram vert passe devant les usines Hainaut Sambre de Couillet. Ici, c'est la division hauts fourneaux de ce qui s'appelait jusqu'en 1955 "Usines Métallurgiques du Hainaut" avant la fusion avec la société Sambre et Moselle pour former la "Métallurgique Hainaut-Sambre". En 1971, je ne le sais pas encore, mais tout ce qui se trouve sur la photo va rapidement disparaître dans les années qui vont suivre. Le tram sera supprimé le 30 juin 1972, tandis que les quatre hauts fourneaux de l'usine de Couillet seront éteints aux alentours de 1976, victimes des restructurations de la sidérurgie wallonne après le choc pétrolier de 1973.
 
     
     
   
     
  Le tram vert devant la piscine Solvay. A l'arrière plan, le terril à laitier des Usines Métallurgiques du Hainaut. Et juste au dessus de la piscine, au centre de la photo, le "mirador" qui trônait au dessus du terril, La nuit, ce terril était éclairé en son sommet par des loupiottes rouges signalant sa présence aux avions !  
     
     
 
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